Visuel :
Claude Lévêque
Nous irons jusqu’au bout, 2012. Néon blanc. Ecriture Hamza Aboudou. 40 x 160 cm. Photo Fabrice Seixas. © ADAGP Claude Lévêque. Courtesy the artist and kamel mennour, Paris
Les Inassouvis
(inapaisés, insatiables, insatisfaits)
Cette année, le Cabinet de Curiosités va se retrancher au Théâtre du Rocher pour fabriquer une forme hétéroclite, une sorte de cabaret de l’intime.
Nous pratiquons le théâtre quotidiennement. Beaucoup sur le papier lorsqu’il s’agit d’inventer et de rêver nos spectacles, de leur trouver un financement, des partenaires, des espaces dans les calendriers.
Et cette maturation et cette conception sont souvent longues.
Nous transmettons notre expérience lors d’ateliers ou de stages conduits toute l’année, pendant lesquels nous apprenons beaucoup du travail de nos « élèves ».
Mais le paradoxe c’est que, bien qu’avides d’explorations et de découvertes, nous ne sommes pas assez « au plateau ».
Comme si cet espace ne nous était donné qu’au compte-goutte, alors qu’il est notre maison, notre refuge : notre espace d’expression.
Le cœur de notre métier est de fabriquer entre quatre murs et de créer du lien, de partager le fruit de notre travail.
Nous puiserons donc notre matériau dans nos désirs d’acteurs et d’actrice, et dans des textes graves ou légers de toutes époques : des morceaux choisis dans nos bibliothèques, sur nos tables de chevets, des extraits griffonnés dans nos carnets.
Mais nous le puiserons aussi dans notre exaltation, nos manques et nos frustrations, avec l’envie d’en découdre, de rire, de se battre, de murmurer, de chanter ou de hurler.
Pas de récit donc, mais un espace poétique brûlant. Pas d’histoire, mais une multitude d’histoires. Pas de personnages, mais des figures qui se croisent sur le plateau, dans un mélange des genres et des théâtralités.
Et au dessus de tout, la nécessité d’être à cette place : sur la scène.
J’aurais voulu voir des rayons lasers jaillir de mes mains
Je n’ai jamais joué un seul vers de « Cyrano »
J’ai jamais milité pour une noble cause
J’aurais pas dû arrêter le piano
J’ai jamais appris jusqu’au bout une langue restée étrangère
J’aurais adoré jouer dans « Fame »
J’aurais voulu éviter certains mensonges
Je n’ai pas eu le César du Meilleur Espoir
Je n’ai pas toujours eu de courage
J’aurais adoré faire partie des Mini Star
J’aurais voulu être tout le monde dans « Mystères à Twin Peaks »
Je n’ai pas trouvé de trésor
J’aurais voulu t’impressionner
– Alors, vous avez beaucoup de travail en ce moment ?
– Oui.
– Ah, c’est bien, alors on peut vous voir bientôt dans un spectacle ?
– Non, mais ces temps-ci je donne pas mal de cours de théâtre, ça occupe déjà beaucoup mon temps.
– Ah oui ? Ça doit être intéressant aussi de donner des cours j’imagine… Moi j’ai ma belle-sœur qui a fait du théâtre. Mais il y a longtemps, enfin c’était plus du one-man-show que du vrai théâtre, enfin du one-woman-show. Mais ça n’a pas marché pour elle, elle a pas percé, du coup elle a changé de voie, elle est rentrée à la SNCF après. C’est que c’est dur de percer, hein ? C’est un milieu difficile.
On n’a jamais joué ensemble.
Depuis le temps qu’on se connaît.
C’est un peu dommage, non ?
Moi, pourtant, j’ai toujours voulu jouer avec toi.
Cela fait des années que j’y pense.
Mais ça ne s’est pas fait…
Tu le sais bien, c’est un métier fait d’aléas.
Je crois que moi-même, je n’ai jamais osé provoquer la chose.
Faire en sorte que toi et moi, un jour ou l’autre, on accepte de rentrer ensemble dans le rond de lumière.
Je n’ai pas osé.
Je suis resté timidement à ma place.
Sur le seuil de la porte.
Parce que je t’admire beaucoup.
Parce que ton talent m’a toujours impressionné.
Parce que j’ai la trouille de ne pas être à ta hauteur.
Parce que je ne m’en remettrai pas, si je devais flancher à côté de toi, quand le rideau s’ouvrira.