Au bord de la nuit
Ce projet est né du désir d’ouvrir l’espace de création du Cabinet de Curiosités à deux autres metteurs en scène, pour juxtaposer nos univers, et les faire coexister au sein d’un même geste artistique : se raconter, soi, à travers la grande proximité voire l’intimité que l’on peut sentir avec un auteur.
J’ai demandé à Marie Blondel et à Alexandre Dufour, des proches, qui travaillent aussi pour la compagnie, de choisir quelle œuvre ils auraient envie de traverser, pour proposer une forme théâtrale qui rendrait compte, au travers d’un montage d’extraits, de ce qui les touche, de ce qui les rapproche du travail d’un écrivain.
Marie a choisi Valérie Mréjen, Alexandre, Christophe Tarkos et moi, Patrick Kermann.
Nous avons choisi deux acteurs Mathieu Bonfils et Laetitia Vitteau, pour être les passeurs de ces paroles. Nous avons aussi choisi Jean-Louis Barletta pour créer la lumière de ces trois propositions.
Au bord de la nuit #1 Patrick Kermann/Guillaume Cantillon
Patrick Kermann a l’élégance, l’humour, la délicatesse et la politesse du désespoir. Son écriture oscille entre une grande économie de mots, et de grands flots ininterrompus, entre la crudité, la violence, la suffocation, la fulgurance et une poésie minimaliste, une immense tendresse et une profonde empathie pour ses semblables : Il remet perpétuellement en perspective la place ténue que l’on occupe avec le grand mystère de la vie et de la mort. Il donne sa voix aux souffrants, aux disparus, aux absents, à ceux qui manquent. Il fait du Théâtre un espace sacré, fait de rituels, où ce qui compte par dessus tout, c’est d’être au monde pour dire, dire encore, dire malgré tout, avant que tout ne s’efface.
Au bord de la nuit #2 Christophe Tarkos/Alexandre Dufour
Des phrases en cabrioles. Des textes éclatés, phrases cul par dessus tête, ramassées en carrés, en ronds, en miniatures, en logorrhées, en bégaiement furieux, en envolées d’oiseaux, en nage de méduse… Les poèmes de Christophe Tarkos sont des bulles. Peu en importe l’objet – le plus souvent banal – que la forme et le style viennent très vite dépasser : la langue qu’il construit, avant tout, se veut frontale, sans filigrane. Les mots s’y retrouvent empilés, mastiqués, renversés. Ce babil devient matériau brut – le poète dira « patmo ». Une pâte, pour ainsi dire, qui se malaxe à foison. Disparu trop tôt, Tarkos a réveillé la poésie. Le lire reste une expérience quasi physique, une cavalcade de haute-voltige dans une phraséologie stupéfiante. Avec cette sensation de vie et de mouvement, en permanence.
Au bord de la nuit #3 Valérie Mréjen/Marie Blondel
Pour Valérie Mréjen, le point de départ d’un livre est souvent une situation dialoguée. Ce qui la préoccupe : le rapport à la parole, au langage. Son écriture est très organique, directe et incisive faite pour être parlée et entendue. Le théâtre n’est pas loin, même si notre matière n’est pas du pur théâtre. Ces textes résonnent comme des confessions, comme si on livrait le plus intime de ce qui nous construit : nos parents, nos amours et le regard qu’ils ont posé sur nous. Faire parvenir cette intimité parfois très chargée le plus simplement possible, dans un sentiment de confiance partagée avec le public. Parler aujourd’hui de la famille en gardant la distance et l’humour nécessaire… Raconter comment l’Autre nous voit et comme, parfois, on ne s’y reconnaît pas.